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On s'est encore planté. Confidences d'un couple entrepreneur qui s'est cru employeur.

Je la sens, l'hésitation. Vais-je vraiment écrire ce que je m'apprête à écrire? Je crois bien que oui. Les raisons pour le faire sont multiples. La première est que j'aurais aimé tomber sur ce billet de blog en septembre dernier et qu'il peut servir à d'autres. On s'est ensuite promis de vous partager nos coulisses, qui ne sont pas toujours roses mais bel et bien sincères. Et puis la meilleure de toutes: la vérité est toujours la meilleure des options.

Va pour la vérité

Je me lance donc. En 2021, au terme d'une retraite entrepreneuriale transformatrice, nous avons pris une décision importante. Elle flottait dans l'air depuis un moment mais c'est durant ce séjour qu'elle est descendue dans nos corps. On a décidé de grandir. L'univers nous a entendu, nous a donné les moyens de cette croissance. Les contrats ont afflué, les bonnes personnes aussi.


On a donc fait le choix très confiant d'engager. De toutes les folies qu'on a faites, celle-là était d'une nouvelle mesure. Soudain, nous étions responsables de quelqu'un d'autre. Avec le recul, difficile de ne pas voir l'étendue de notre ignorance d'alors. Mais qu'importe. Qui dit ignorance dit grande marge d'apprentissage. C'est ce que nous avons fait pendant un an et demi. Apprendre. 

Jacques a dit: créer de l'emploi

Jacques a dit cadre et horaires. Pour notre employée, évidemment, mais aussi pour nous. Jacques a dit salaire à assurer, pression. Jacques a dit démarches administratives, paperasse. Et Jacques nous a aussi rappelé qu'on n'a jamais suivi de cours d'employage.

 Jacques a dit: "c'est merveilleux, tu crées de l'emploi". Mais ça sonnait faux. 

Il nous a fallu du temps pour comprendre ce qui dissonait.

Et puis, un jour, le franc est tombé.

Nous avons créé ce que nous avions fui. 

Un emploi.

Nous nous sommes imposés tout ce qui nous désaligne: cadre, horaires, administration, pression et - celui-là, il pique vraiment - hiérarchie.

Lentement, Jacques m'a mis à terre. J'ai passé un été retranchée à l'intérieur de moi, à me lever avec lourdeur, à laisser le monstre anxiété grandir jusqu'à me paralyser avant une animation et mettre toute l'équipe en difficulté. 

Ce long et lent accouchement a donné naissance à une question, pour le moins dérangeante:

Comment voir en quelqu'un briller une flamme, un talent inestimable et être son employeur alors que tout ce que tu lui souhaites c'est de la voir prendre son envol et se consacrer exclusivement à son talent? Où trouver l'alignement? Quand tu offres un job alimentaire et une sécurité financière de façade alors que ton espoir pour le monde est de voir sombrer cette histoire de "gagner sa vie" pour simplement voir chaque être épanoui, au service de ce qu'il fait de mieux?

Comment? Et bien je vais vous le dire. Sous anesthésie d'abord. En se voilant complètement la face et en croyant au récit collectif actuel de la création d'emploi. Dans la douleur ensuite en se réveillant, à terre. Dans la culpabilité ensuite quand Jacques te dit que ton employée a besoin d'une coupure pour se retrouver avec elle-même. Dans le silence, enfin, quand Jacques te rappelle que ta posture d'employeur t'interdit de prendre contact, de demander des nouvelles, d'essayer de comprendre.


Départ vers Compostelle, planifié de longue date et tombé à pic pour dissiper le brouillard.


La vie emballe parfois très mal ses cadeaux.

Je la sens toujours, l'hésitation. C'est profondément intime, ce que je vous partage là.
Mais c'est profondément juste aussi.

La vie emballe parfois très mal ses cadeaux. Le déballage de celui-ci n'a pas fait souffrir que nous et c'est dur de vivre ça. J'aurais aimé en septembre dernier trouver des témoignages d'employeurs qui doivent s'entendre avec leur conscience sur le fait qu'un de leurs employés est en burn out. Je n'en ai trouvé que dans de rares discussions à huis clos. Que cet article serve au moins à ce que d'autres se sentent moins seuls.

Pourquoi alors parler de cadeau? Car le recul, la marche et le temps nous ont permis de voir ce désalignement comme un rappel de nos fondamentaux. D'envisager nos projets actuels et futurs avec clarté, de nous questionner sur ce que grandir et travailler voulaient dire pour nous, d'approfondir la patience, la tempérance, la bienveillance. 

Comment conclure cette confidence? Espérer que vous avez trouvé dans l'honnêteté de cet article de quoi pardonner son titre racoleur. Espérer que sa lecture vous fasse avancer autant que son écriture m'a libérée. 

Souhaiter à notre douce pépite de trouver en elle le moyens de se déployer.

Et chialer un bon coup.