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Tout est résistance,ou comment trouver le sommeil et l'élan par les temps qui courent.

Je ne sais pas si tu t'es déjà posé cette question. Comment aurais-je réagi si j'avais vécu dans les années 1930? Si j'avais assisté à la montée du fascisme en Europe, me serais-je laissée berner, manipuler? Aurais-je pu être une collabo? Aurais-je eu le courage et la bravoure de résister?

Un animal instinct

Ma réponse à ces interrogations a toujours été la même. Impossible de savoir comment on aurait agi tant la situation était exceptionnelle. On ne peut jurer de rien tant qu'on ne l'a pas vécu et, dans un contexte aussi particulier que celui-là, j'ai toujours associé les réactions de nos ancêtres - pas si lointains - à une sorte de réflexe, un animal instinct, comme dirait Céline Dion, impossible à prévoir.

Ma réponse a toujours été la même.

Jusqu'à aujourd'hui. J'ignore encore quels dangers je me sens prête à courir pour la défense de mes idées et valeurs. Les pires scénarios qui m'occupent l'esprit me rappellent que je suis une femme, francophone, trop présente en ligne, offrant mes opinions woke en pâture à ses détracteurs déshumanisés. La pensée "ferme-la" me traverse régulièrement l'esprit. Mais la Belgique n'a pas (encore?) sombré dans cette sombre dystopie qui me freeze le cerveau.  

J'ai encore voix au chapitre. Alors que ma voix porte.

Je sais aujourd'hui dans mes tripes que j'aurais résisté et que c'est ce que je ferai. Car c'est ce que je fais depuis des années. C'est ce que nous faisons chaque jour. Mener une vie à contre-courant, ouvrir des voies, s'enfoncer dans des brèches, y apporter la lumière, poser un regard tendre sur le Vivant, tolérer, accueillir. Garder le silence quand c'est plus constructif, argumenter d'autres fois. Aiguiser sa pensée critique, remettre en question et s'informer. Informer et transmettre. Tout cela, c'est résister.

Refuser, réduire, décroître, ralentir, prendre du recul, cultiver son jardin. Manifester, planter des arbres, écrire, inspirer, partager, apprendre des savoir-faire oubliés, lire de la poésie et s'obstiner à voir le beau. Réfléchir, débattre, rencontrer, s'engager, créer son emploi, se serrer les coudes, élever des enfants concernés: tout ça aussi, c'est résister.



Adieu tendres années, salut champ de bataille

Tandis que toutes ces informations outre-atlantique, belges et européennes s'infiltrent dans mon quotidien, s'emparent de mon temps, de mon attention et piétinent mes espoirs, j'ai l'impression qu'une première bataille se joue; une bataille intellectuelle, psychologique. Alors que les premiers échos d'une victoire auraient pu s'élever au vu de l'écrasant sentiment d'impuissance qui s'installe, j'ai pris la plume, pour résister. Je me refuse à voir l'amour, la joie et la poésie être méprisées, écrasées. Car ces trois-là ne pourront jamais se trouver du mauvais côté de l'histoire. 

Si aucun mot n'est perdu, si chaque parole compte et peut faire la différence, alors ceux-ci devaient vous être partagés.

Espérer et donner espoir, signer des pétitions, payer en espèces, échanger des services, co-voiturer, coopérer, être honnête, respecter, prendre soin, rire et chanter, comprendre, s'opposer, empêcher, s'organiser, se fédérer, entraîner tant sa lucidité que sa capacité à rêver, s'octroyer le droit d'être touché·e par cette époque, aimer et se rassembler, c'est aussi résister.

Où la roue tourne où tout est doux

Tout en écrivant ce billet sur mon oreiller, une petite voix me dit que ce n'est pas très pro d'écrire un billet politique à la place d'un post promotionnel pour Proust Alors! ce dimanche 16/02 alors qu'il reste pas mal de places en vente et que ce n'est pas la politique qui va remplir notre frigo. Mais en totale franchise, ma bande passante est accaparée et saturée par les actualités et j'ai du mal à me concentrer sur autre chose. J'ai hâte d'être dimanche, d'ouvrir cet espace coupé du monde et du temps, de nous entourer de douceur et de réconfort. J'en ai besoin autant que vous, participants.

Lors du lancement de chaque nouveau projet, j'écris son pourquoi, sa raison d'être pour l'avoir sous les yeux à tout moment, et particulièrement dans les creux de vague comme maintenant. Proust Alors! a été conçu comme un refuge, un lieu où se ressourcer pour mieux faire face. Une partie de moi aurait préféré viser moins juste en écrivant alors: L'état du monde est un lourd fardeau à porter et trouver des parenthèses de légèreté avec nos proches, ce n'est pas faire l'autruche, c'est reprendre son souffle, nourrir son espoir, sa malice, son imagination. Pour faire face.

Rendez-vous dans un autre monde

Il va en falloir du courage et de la bravoure pour faire face au monde qui s'en vient. J'ai longtemps cru à une sorte de de réflexe dans la panique, de choix par défaut de nos ancêtres qui les aurait amenés, vers tel ou tel côté de l'histoire. J'ai le sentiment aujourd'hui qu'il s'agit plutôt d'une affaire de tripes ou d'intérêts, certainement de valeurs et de récits.

Si aucun mot n'est perdu, si chaque parole compte et peut faire la différence, alors ceux-ci doivent être partagés:

Montrez-moi, 
Racontons-nous 
La joie, la poésie, la beauté, l'humanité et l'espoir.

Tout est résistance. Résistez.

Et si tu veux venir souffler dimanche...

Merci à Céline Dion pour les sous-titres.
Merci à Cyril Dion d'alimenter ma soif de mots en insistant sur l'importance des récits.
Et, plus sérieusement et en phase avec ce billet, je m'en vais acheter "Résister", un essai de Salomé Saqué paru aux éditions Payot en 2024.